Les nouveautés épidémiologiques en matière de cancers et d’infections au cours des MICI
Même si le cancer colorectal (CCR) est la première cause de mortalité à long terme de la RCH, le nombre de patients atteints de MICI compliqués de CCR est faible et représente moins de 1% de l’ensemble des CCR.
Risque de CCR
L’incidence du risque de CCR dans la RCH varie selon les sources d’information séries hospitalières issues de centres spécialisés ou études de population. L’étude de cohorte idéale pour l’évaluation du risque de cancer devrait être une étude en population générale, incluant tous les cas de RCH dans une zone géographiquement définie et suivie sur une période assez longue pour estimer le risque avec un intervalle de confiance étroit. L’option choisie pour la cohorte CESAME, dont l’objectif primaire est d’évaluer le risque néoplasique au cours des MICI, a été de constituer une cohorte large de plus de 20000 malades suivie sur une durée courte plutôt qu’une cohorte limitée en nombre suivie plus longtemps.
Dans une méta analyse de 116 études, la prévalence globale de CCR au cours de la RCH était de 3,7% (IC95% 3,2-4,2%). Sur les 116 études, 41 rapportaient la durée d’évolution de la RCH permettant de calculer la probabilité cumulée décennale de CCR 2% à 10ans, 8% à 20 et 18% à 30 ans [1]. Une étude de population canadienne a confirmé le risque accru de CCR. Les patients avec MICI étaient comparés à ceux de la population générale appariée pour l’âge, le sexe, le lieu de résidence et l’année. De 1984 à 1997, 2672 RCH ont été enregistrées avec un risque cumulé de CCR de 2,75. L’étendue de la maladie n’était cependant pas précisée [2].
Des discordances dans l’évaluation du risque de CCR au cours des MICI ont cependant été rapportées. Une cohorte danoise de 1160 patients atteints de RCH diagnostiqués entre 1962 et 1987 a pu être suivie pendant une période médiane de 19 ans. Cent vingt-quatre cancers sont survenus contre 140 attendus (SIR 0,89; 0,74-1,07), parmi lesquels 13 CCR observés contre 12 attendus (SIR 1,05; 0,56-1,79). La probabilité décennale cumulée de CCR était de 0,4% à 10 ans, 1,1% à 20 et 2,1% à 30 ans. En dehors du mélanome chez l’homme, il n’y avait aucun sur-risque de cancers, en particulier hépatobiliaire, de lymphomes ou d’autres hémopathies. Ces résultats sont peut-être être explicables par une politique de colectomie précoce dès que les malades échappent au traitement médical et à l’utilisation ancienne de traitement de fond par salicylés [3].
Dans une étude cas témoins, le risque de CCR recensés de 1940 à 2001 dans le Comté d’Olmsted (USA) chez 692 malades atteints de MICI a été comparé à celui observé dans une population témoin du même Comté de 1980 à 1999 et dans l’Iowa de 1973 à 2000. Un CCR a été observé chez 6 patients atteints de RCH versus 5,38 attendus (SIR 1,1; 0,4-2,4), en notant que 4 des CCR étaient survenus chez des malades atteints de colite dépassant l’angle gauche ou de pan colite. Six cas de CCR ont été observés chez des patients atteints de MC versus 3,2 attendus (SIR 1,9; 0,7-4,1). Un cancer du grêle est survenu chez 3 patients avec MC versus 0,07 attendus (SIR 40,6; 8,4-11,8). Le risque global de CCR en cas de RCH n’était donc pas augmenté dans cette étude, sauf chez les patients atteints de pan colite. Le risque de CCR chez les patients atteints de MC était légèrement augmenté, alors que celui de cancer du grêle était augmenté d’un facteur 40 [4].
Facteurs de risque de CCR
L’étendue de l’atteinte colique, son ancienneté, un antécédent de CCR chez un parent du 1er degré sont des facteurs de risque bien reconnus de CCR au cours de la RCH. Plus récemment, d’autres facteurs y ont été ajoutés l’âge jeune au moment du diagnostic de RCH, l’association à une Cholangite Sclérosante Primitive (CSP) ou à une iléite de reflux, une inflammation persistante se traduisant par une activité histologique, endoscopique et clinique persistante. Par extension, les mêmes facteurs sont admis pour la MC, même si on dispose de beaucoup moins de données que pour la RCH.
Le risque de CCR augmente avec l’étendue de la maladie sur le côlon. Il est maximum au cours des pan colites ou des colites dépassant l’angle colique gauche, intermédiaire pour les colites gauches (un tiers à un cinquième de celui associé à une pancolite) et non différent de celui de la population générale pour les recto-sigmoïdites [4-6].
Ancienneté de la maladie
Le risque de CCR devient plus élevé que dans la population générale après 8-10 ans d’évolution de la RCH. Après 8 ans d’évolution, le risque augmente de 0,5% à 1% par an pour atteindre une incidence de 8% à 20 ans [1]. Ces données permettent de recommander de débuter la surveillance après 8 et 15 ans d’évolution pour une pancolite, et une colite gauche, respectivement.
Age de début
Un âge jeune au diagnostic de RCH reste un facteur controversé de risque de CCR. Dans la méta analyse de Eaden, l’incidence de CCR chez les enfants était double de celle des adultes (6/1000 patients années contre 3), mais ce calcul n’était fondé que sur 5 études au lieu de 41 chez l’adulte. La maladie a tendance à être plus étendue chez les enfants que chez les adultes, augmentant ainsi la proportion d’enfants à risque plus élevé. Il n’est cependant pas certain que le risque par patient et par an pour un enfant ou un adulte jeune, soit supérieur à celui d’un adulte. Il n’existe pas actuellement d’argument pour débuter chez ces patients la surveillance avant 8 ans d’évolution. La surveillance reste guidée, comme chez l’adulte, par le siège et la durée de l’évolution de la maladie plus que par l’âge au moment du diagnostic.
CSP
L’incidence de la CSP est d’environ 5% au cours de la RCH étendue. L’association d’une CSP à une RCH est un facteur de risque indépendant de CCR. Le risque cumulé de CCR est environ de 19%, 31% et 50% à 10, 20 et 30 ans de suivi de la RCH, respectivement. Cette fréquence est beaucoup plus élevée que celle observée dans les pancolites sans CSP. Les RCH associées à une CSP sont souvent infra cliniques avec une longue période asymptomatique, augmentant du même coup, la durée de l’évolution de la maladie et donc le risque de CCR. Par ailleurs, les rôles respectifs d’une toxicité de la bile sur l’épithélium colique et d’une prédisposition génétique à l’association CSP/CCR restent débattus. Chez ces malades, le moment de la mise en route du programme de dépistage et de surveillance est maintenant bien codifié en cas de RCH non connue, dès le diagnostic de CSP porté, il est recommandé de réaliser systématiquement une coloscopie avec des biopsies étagées, même si la muqueuse est macroscopiquement normale. Lorsque la RCH est connue, un programme de surveillance comportant une coloscopieannuelle doit débuter au moment du diagnostic de la CSP [7].
Après transplantation hépatique pour CSP, chez les patients qui ont gardé leur côlon, le risque de dysplasie (15% à 5 ans et 21% à 8 ans) et celui de CCR sont multipliés par 4. Ce risque n’influence pas la survie des patients et n’implique pas de colectomie prophylactique, mais justifie la poursuite d’unecoloscopie annuelle [8].
Histoire familiale de CCR
Les personnes dont un parent du premier degré a présenté un CCR sporadique, ont un risque multiplié par deux de développer un CCR. C’est aussi le cas dans la RCH, ainsi que dans la MC. Dans la RCH, le risque est multiplié par 2,5, comparé à un patient avec RCH sans histoire familiale. Le risque atteint 9,2 aussi bien dans la RCH que dans la MC si le cancer du parent du premier degré est survenu avant l’âge de 50 ans. Malgré ces constatations, il n’existe cependant pas de recommandations particulières dans ce sous-groupe de patients, qui pourraient être par exemple un début plus précoce du programme de surveillance ou un rythme plus rapproché de celui-ci [9].
Activité inflammatoire
Une activité inflammatoire sévère ou chronique représente un facteur de risque supplémentaire de CCR, l’inflammation étant un facteur pathogénique essentiel au développement d’un CCR. Dans une première étude cas-témoins, une inflammation histologique et endoscopique augmentait le risque de CCR chez 68 malades ayant une RCH et un CCR. Dans un complément d’étude à partir des mêmes malades, Rutter et al. détaillaient les marqueurs endoscopiques de l’inflammation la présence de pseudo polypes inflammatoires, et de zones rétrécies étaient les seuls facteurs de risque indépendants en analyse multivariée, alors qu’un aspect normal du côlon en endoscopie de surveillance était moins fréquent chez les malades qui développaient un CCR [10, 11].
Iléite de reflux
Sur 590 patients atteints de RCH et opérés d’une proctocolectomie totale avec anastomose iléo anale, 11,2% avaient un CCR. Celui-ci était plus fréquent chez les malades qui avaient une pancolite avec iléite de reflux (backwash Ileitis) (29%), que chez ceux qui avaient une pancolite sans iléite de reflux (9%) ou une colite gauche (1,8%). La présence d’une iléite de reflux était fortement corrélée à celle d’une CSP [12].
Risques particuliers à la MC
Le risque de cancer de l’intestin grêle est spécifique à la MC mais reste mal évalué du fait de la rareté des études cas témoins sur ce sujet. La seule méta-analyse disponible a porté sur 6 études en population générale remplissant les critères d’inclusion suffisants. Le risque global de CCR était presque doublé (SIR 1,9; IC 1,4-2,5). Dans les 5 études qui rapportaient la fréquence des cancers du grêle, le SIR variait de 3,4 à 66,7 et le SIR global était de 27,1 (IC14,9-49,2) [13].
Le diagnostic de cancer du grêle est souvent difficile et tardif la question reste donc ouverte de savoir si ce risque excessif observé au cours de la MC est le résultat d’une inflammation ancienne ou d’une difficulté de surveillance, en particulier des sténoses du grêle «installées». Il n’y a pas de consensus sur la surveillance de ces sténoses. Les sténoses de l’intestin grêle suspendues peuvent être tolérées longtemps avant d’entraîner des signes mécaniques qui poussent à la résection chirurgicale. L’attitude la plus fréquente est d’attendre de tels symptômes avant de les traiter chirurgicalement. Les sténoses iléo-coliques droites (après ou sans chirurgie antérieure) peuvent être accessibles à la dilatation et donc théoriquement être surveillées par endoscopie et biopsies. Cependant, l’intérêt d’une telle surveillance n’est pas établi. Les sténoses coliques soulèvent une double difficulté elles rendent impossible une surveillance endoscopique complète du côlon et posent le problème de leur traitement par voie endoscopique (dilatation) ou chirurgicale. La stratégie thérapeutique est particulièrement difficile chez les malades qui sont peu ou pas symptomatiques.
Surveillance
Une analyse systématique Cochrane a évalué les programmes de surveillance des MICI. Des 11 études revues, seules 3 atteignaient les critères d’un programme de surveillance systématique par coloscopie de patients atteints de RCH. La surveillance ne prolongeait pas la survie des patients atteints de RCH dépassant l’angle gauche. Par contre, les CCR étaient diagnostiqués à un stade plus précoce et il en résultait un meilleur pronostic [14].
L’une des difficultés de la surveillance endoscopique, réside dans la valeur pronostique de la découverte d’une dysplasie de bas grade en muqueuse plane. Celle-ci a été évaluée dans une étude de population au sein de laquelle une cohorte de 692 patients avec MICI a été constituée rétrospectivement (1940-2001). L’incidence cumulée de dysplasie en cas de RCH était de 1,9% à 5 ans, 5,1% à 15 ans et 9,2% à 25ans. Une dysplasie de bas grade a été mise en évidence chez 29 patients (4% des MICI) en muqueuse plane (n=8), sur DALMs (Dysplasia Associated Lesions or Masses, n = 1), sur ALMs (Adenoma-Like Masses) en zone malade (n =18) ou en dehors de celle-ci (n = 2). Six cas de dysplasie de bas grade ont pu être suivis 18,8 ans avec une coloscopie tous les 3 ans, sans progression vers un CCR ou une dysplasie de haut grade. Quatre patients avec ALMs en zone malade qui n’avaient pas été opérés ont développé une dysplasie de bas grade ou une DALM [15]. Cette étude ne confirmait pas un risque plus élevé de CCR chez les malades ayant une dysplasie de bas grade et prolongeait donc son incertitude pronostique. En effet, pour certains, la découverte d’une dysplasie de bas grade comporte un risque élevé de CCR et/ou dysplasie de haut grade et implique donc une colectomie. Pour d’autres, une surveillance rapprochée reste indiquée.
Une méta analyse de 20 études publiées regroupant 508 malades avec RCH et dysplasie de bas grade a testé le risque d’évolution vers un CCR ou une dysplasie de haut grade. Les patients avaient eu en moyenne 4,3coloscopies et 18 biopsies à chaque fois. Soixante-treize progressions ont été observées, induisant un risque relatif multiplié par 9 de CCR, par 12 de dysplasie de haut grade en cas de dysplasie de bas grade [16]. Ce travail a donc confirmé la valeur pronostique de la dysplasie de bas grade, à tel point qu’il a été pris en compte dans les recommandations récentes établies lors de la conférence de consensus européenne sur la prise en charge de la RCH (Berlin 2006) «Une dysplasie doit être confirmée par une deuxième lecture par un anatomopathologiste indépendant. Une dysplasie de haut grade en muqueuse plane ou un adénocarcinome est une indication à la proctocolectomie. En cas de dysplasie de bas grade en muqueuse plane, deux possibilités doivent être discutées avec le patient proctocolectomie ou une nouvelle endoscopie de surveillance 3-6 mois plus tard. Cette recommandation peut être changée en faveur de la proctocolectomie à la lumière des résultats de la méta analyse de T Thomas et al. sous presse».
Nouveautés épidémiologiques dans le domaine des infections liées aux MICI et à leur traitement
Des traitements anti-inflammatoires et immunosuppresseurs tels que les corticoïdes, l’azathioprine, le méthotrexate, la ciclosporine et plus récemment les anti-TNF,a sont fréquemment utilisés dans le traitement des MICI. En raison des modifications de la qualité et de l’intensité de la réponse immunitaire qu’ils induisent, l’utilisation de ces agents est associée à un risque augmenté d’infections. En fonction de son mode d’action, chaque agent est associé à un risque plus spécifique. Les corticoïdes favorisent les infections muco-cutanées bactériennes ou candidosiques, et à fortes doses les pneumocystose. Les thiopurines et le méthotrexate favorisent les infections virales du groupe herpès telles que le zona, la varicelle et la mononucléose. La ciclosporine favorise les sepsis à pyogènes et les infections opportunistes. Les anti-TNF font courir un risque de réactivation de la tuberculose et les infections opportunistes [17]. Parmi ces traitements, les anti-TNF sont associés à la fréquence d’infections la plus élevée.
Au cours des essais thérapeutiques avec l’infliximab, 36% des patients ont développé une infection nécessitant un traitement versus 26% dans les groupes placebo. Les infections les plus fréquentes étaient respiratoires hautes (sinusite, pharyngite, bronchite) et urinaires. Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes infliximab et placebo en ce qui concerne la fréquence des infections sévères et des sepsis. Des infections graves ont été rapportées notamment, des pneumopathies, des sepsis, des miliaires tuberculeuses, des histoplasmoses. Ces infections constituent la cause la plus fréquente de décès lors d’un traitement par infliximab [18]. L’administration d’infliximab doit donc être retardée chez tout patient ayant ou suspect d’une infection non contrôlée.
Sur 430000 patients traités par infliximab dans le monde, la survenue inhabituelle de tuberculose grave et d’infection opportuniste a été rapportée. En ce qui concerne la tuberculose, 350 cas ont été rapportés, dont la plupart sont survenus en Europe alors que cette zone géographique ne réunissait pas la majorité des prescriptions d’infliximab. L’analyse des 70 cas déclarés aux USA avant le mois de juin 2000 révélait que 40% des patients présentaient des formes extra pulmonaires (miliaires, ganglionnaires, péritonéales, pleurales, etc.) et que le début était précoce par rapport à la mise sous anti-TNF alpha (délai médian de 12 semaines). Plus de 98% des patients étaient originaires de régions à faible endémie tuberculeuse [19]. Une surveillance post-marketing provenant des patients traités pour poly arthrite rhumatoïde (PR) rapporte un pourcentage de tuberculose identique avec les différents anti-TNF, qu’il s’agisse de l’étanercept (0,01%) l’infliximab (0,05%) et adalimumab (0,02% patient-année).
Chez tous les malades qui vont être traités par anti-TNF, l’interrogatoire doit rechercher d’éventuelles infections tuberculeuses antérieures, d’autres complications infectieuses, d’éventuels traitements anti-tuberculeux antérieurs, un contact récent avec un entourage connu ou suspecté d’être atteint de tuberculose active, l’origine démographique, d’éventuels risques sociaux (chômeur, prison, SDF, pensionnaire d’une structure de soins chroniques, etc.). Un point doit être fait sur les traitements concomitants, en particulier les traitements immunosuppresseurs. L’examen doit rechercher des signes respiratoires, en particulier une toux productive et prolongée, des douleurs thoraciques, des antécédents d’hémoptysie et de fièvre, de frisson, de sueurs nocturnes, d’anorexie, de perte de poids ou de fatigabilité. Un test tuberculinique doit être fait avant le démarrage du traitement ainsi qu’une radio de thorax. Chez les patients qui ont un test cutané positif à plus de 5 mm de diamètre, un traitement préventif anti-tuberculeux associant rifampicine et isoniazide doit être mis en route pendant trois mois et la première injection d’anti-TNF ne peut pas être réalisée avant trois semaines. Une consultation chez un pneumologue spécialisé est recommandée avant le démarrage du traitement.
Ces recommandations, validées par l’AFSSAPS, et celles similaires adoptées dans les autres pays utilisant ce traitement, ont permis de réduire considérablement le nombre de cas de tuberculose aiguë sous anti-TNF.
D’autres infections opportunistes ont été rapportées, telles que des histoplasmoses, des pneumocystoses, des listérioses et des aspergilloses parfois mortelles. Le risque infectieux n’est pas lié au nombre de perfusions et la plupart des infections sévères surviennent en début de traitement (au cours des trois premières perfusions). Tous les anti-TNF comportent le même risque de complication infectieuse, dominé par le risque de tuberculose et d’infection opportuniste. Il faut cependant comparer ces risques infectieux avec les anti-TNF à ceux déjà connus avec les autres immunosuppresseurs (corticoïdes, thiopurines et méthotrexate) qui augmentent aussi le risque d’infection.
En ce qui concerne les infections opportunistes, elles ont été rapportées avec tous les anti-TNF, avec un pourcentage d’infection sévère, après infliximab chez environ 4% des malades dans l’essai ACCENT 1 et 2, 3,6% dans les essais (essai CHARM) avec l’adalimumab à la dose de 40 mg toutes les deux semaines et 2,8% dans l’essai avec le certolizumab pegylé (essai PRECISE-2).
Dans une revue systématique de l’ensemble des données de 9 essais thérapeutiques regroupant 3493 malades traités pour PR soit par adalimumab soit par infliximab, Bongartz et al. rapportent un risque deux fois plus élevé d’infection sévère [20]. Le risque de réactivation de maladies granulomateuses et d’infections au cours desquelles les défenses de l’hôte sont macrophages-dépendantes, est aggravé par l’utilisation concomitante de traitements immunosuppresseurs [21].
Dans la même analyse globale des données disponibles concernant les traitements par infliximab et adalimumab au cours de la PR, l’odds ratio pour le risque de complication maligne (incluant les cancers cutanés basaux et spinaux cellulaire) était de 3,3 (IC 95% 1,2-9,1) [20]. Ces résultats sont différents de ceux rapportés chez les 6290 patients atteints de MC inclus dans le Registre TREAT dont 3179 avaient reçu de l’infliximab. Le risque relatif de cancers et plus particulièrement de lymphomes dans cette étude était de 1,3, mais non différent de celui observé chez les patients avec MC qui n’avaient pas reçu d’anti-TNF [22].
En mai 2006, la FDA a alerté la communauté médicale sur 6 cas de lymphome T hépatosplénique, une forme rare de lymphome non Hodgkinien, rapportés chez des patients jeunes (12-31 ans) traités par infliximab pour MC. Comme la plupart des 120 autres cas de lymphomes T hépatospléniques publiés dans la littérature, ils recevaient tous de l’azathioprine ou de la 6-MP en même temps que l’infliximab. Aucun cas de ce type de lymphome n’a été rapporté chez des patients traités pour RCH ou PR, ces derniers ne recevant généralement pas de thiopurines. Ces données font soupçonner un rôle facilitateur de l’azathioprine/6-MP dans l’apparition de ces complications malignes, mais ne permettent en aucun cas d’exonérer l’infliximab.
Ces complications, font proposer à certains experts d’arrêter le traitement concomitant par thiopurines systématiquement 6 mois après l’initiation d’un premier traitement par infliximab, et de continuer le traitement d’entretien avec celui-ci, seul en cas de réponse au traitement associé. Une autre question est la poursuite ou non des thiopurines chez des patients qui sont sous une association infliximab/ thiopurines depuis plusieurs années en traitement d’entretien. Si le schéma du traitement d’attaque par infliximab a d’emblée été respecté (injection à semaine 1, 2 6 puis toutes les 8 semaines) sans traitement «à la demande «comme cela a été pratiqué au début de l’expérience avec l’infliximab, certains proposent d’arrêter les thiopurines et de poursuivre l’infliximab seul. L’arrêt des thiopurines fait courir un risque théorique de réactions d’allergie et/ou de perte d’efficacité de l’infliximab liées à l’expression des anticorps anti-infliximab dont la prévention est la principale indication d’un traitement par thiopurines associé à l’infliximab. Il s’agit pour l’instant d’attitude d’experts, qui doivent être confortées par des études systématiques.
Le natalizumab, est un anticorps monoclonal anti-molécule d’adhésion qui, comme les autres immunomodulateurs, augmente le risque d’infection opportuniste. Sur une expérience portant sur 3900 patients représentant 5500 patients années, la complication la plus sévère a été le développement d’une leuco-encéphalite multifocale progressive (PML). Le natalizumab avait été évalué chez les patients atteints de sclérose en plaque et de MC et trois cas de PML ont été rapportés dont deux d’évolution mortelle. L’étude de plus de 3000 patients ayant reçu du natalizumab, mais chez lesquels le traitement a été arrêté à la suite de l’apparition de ces trois cas, n’a pas retrouvé de cas supplémentaire de PML en dehors des trois cas rapportés. Le risque de développer une PML chez des patients traités par natalizumab 17,9 mois en moyenne est approximativement de 1/1000 patients (95% CI, 0,2-2,8 / 1000) [23].
Au total, les «biothérapies» constituent un progrès indiscutable dans la prise en charge des patients atteints de MICI sévères, réfractaires ou fistulisantes. Ces avantages doivent cependant être soigneusement pesés en regard des risques supplémentaires qu’ils font courir. Un traitement concomitant avec corticoïdes ou immunosuppresseur augmente le risque d’infection et le risque néoplasique. Afin d’essayer d’évaluer ces risques par rapport au bénéfice attendu de ces traitements, deux approches différentes ont été présentées lors du congrès de l’American Gastroenterological Association en 2006.
Siegel et al ont modélisé une simulation portant sur deux cohortes de 100000 patients chacune, recevant soit de l’infliximab, soit un traitement standard. Utilisant les bases de données provenant de l’analyse systématique de six études rapportant des effets secondaires, ils ont basé leur étude sur les hypothèses suivantes à un an 1,6 décès dus au lymphome et 4,0 décès dus à une cause autre qu’un lymphome pour 1000 patients prenant de l’infliximab. Ils ont ainsi pu calculer que le traitement par infliximab entraînerait 12216 rémissions supplémentaires, 4255 interventions chirurgicales en moins, une amélioration de la qualité de vie et 33 décès de moins dus à la MC. Cependant, le traitement par infliximab entraînerait 201 cas supplémentaires de lymphomes et 249décès supplémentaires d’autres causes [24].
Une enquête a été menée auprès des patients atteints de MC pour évaluer leur volonté d’assumer les risques par rapport aux bénéfices potentiels liés au traitement par les biothérapies. Confrontés aux risques, qu’ils soient modérés ou même sévères, liés aux traitements par les biothérapies, les patients acceptaient cette prise de risque y compris ceux d’encéphalopathie PML et de lymphome [25].
La décision de poursuivre un traitement par biothérapie doit donc être discutée individuellement avec chaque patient, prenant en compte en particulier la détérioration de la qualité de vie, le niveau d’information réelle sur les effets secondaires potentiels et leur capacité à assumer de manière informée d’éventuels complications liées aux traitements. A mesure qu’augmentera le recul avec ces traitements, nous disposerons de données réelles qui rendront plus facile l’évaluation bénéfice/risque pour un patient donné.
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