A 50 ans, une HTA > 130 mmHg augmenterait le risque de développer une démence
On sait que l’hypertension artérielle a un impact sur l’apparition ultérieure de troubles cognitifs. Mais à partir de quel âge cet effet devient-il significatif ? Et pour quelle valeur de l’HTA ? Ces questions sont au cœur de l’étude franco-britannique : WITHEHALL II(INSERM, Department of Epidemiology and Public Health, University College London) menée entre 1985 et 2017 par Archana Singh-Manoux, directrice de recherche Inserm responsable du projet de recherche et professeur honoraire à l’UCL, et ses collaborateurs. Les résultats parus dans l’European Heart Journal suggèrent qu’à 50 ans, une tension élevée, mais toujours en-dessous du seuil de diagnostic de l’hypertension, pourrait être liée à une augmentation du risque de développer une démence plus tard dans la vie et ce, même pour les personnes ne présentant aucune autre pathologie cardiovasculaire [1].
Répartition en tranches d’âges
Plus de 8 000 volontaires sans trouble cognitif ont été recrutés (32% de femmes) entre 1985 et 2003 dans cette étude. Les chercheurs ont recueilli les valeurs de la pression artérielle systolique (PAS) et diastolique lors du recrutement et du suivi. La survenue éventuelle de signes de démence entre 2013 et 2017, a, quant à elle, été recherchée en consultant des données électroniques hospitalières répertoriant les atteintes cognitives et la classification internationale des maladies dans le registre des décès.
L’originalité de cette étude réside dans la constitution de tranches d’âges réparties en décades 50, 60 et 70 ans, permettant de définir précisément les catégories d’âges, et notamment la plus jeune : 50 ans. En effet, bien qu’il existe déjà des études associant pression artérielle et risque accru de démence à un âge avancé, celles-ci portent sur les mesures de la pression artérielle chez une large catégorie de population dont l’âge varie de 35 à 68 ans et n’ont jamais été réalisées sur des tranches d’âge précises.
L’âge moyen des sujets en 1985 était 45 ans, 61 ans en 2003.
Dans chaque cohorte d’âge, les auteurs ont évalué les différents niveaux tensionnels systoliques et ont retenu trois tranches : 120, 130 et > 140 mmHg.
Risque accru de démence pour une PAS > 130mmHg à l’âge de 50 ans
A la fin de l’étude en 2017, 4,5% des sujets suivis souffraient de troubles cognitifs. L’âge moyen du diagnostic de démence était 75,2 ans (+/- 5,4). Son incidence étant associée à un plus faible niveau d’éducation, à l’hypertension artérielle et à des comorbidités.
Les chercheurs ont constaté un risque accru de démence pour une pression artérielle systolique > 130mmHg à l’âge de 50 ans par rapport aux personnes du même âge avec une pression artérielle basse (RR : 1,45 [IC95% : 1,18-1,79]). Ce risque reste significatif après ajustement sur les données socio-économiques, facteurs de risque ou comorbidités (RR : 1,38 [IC95% : 1,11-1,70]). Aucune association entre un risque accru de démence et une PAS > 130 mmHg n’a été observée pour les tranches d’âge 60 et 70 ans. Et la pression artérielle diastolique n’avait pas d’influence.
Autre constat important de l’étude : l’apparition de signes de démence s’avère indépendante de la survenue d’accidents cardiovasculaires (CV) cliniquement décelés dans la cohorte des patients de 50 ans ayant une PAS >130mmHg (RR : 1,47 [IC95 : 1,15-1,87]). En effet, le lien entre HTA élevée et démence était aussi présent chez des personnes qui n’ont pas présenté de pathologies cardiovasculaires pendant la période de suivi – ce risque était augmenté de 47% comparé aux personnes avec une pression < 130 mmHg à l’âge de 50 ans.
L’apparition de signes de démence s’avère indépendante de la survenue d’accidents CV dans la cohorte des patients de 50 ans ayant une PAS > 130mmHg.
L’importance des micro-vaisseaux
En conclusion, les auteurs ont montré un risque significativement accru de survenue d’une démence chez les patients ayant à 50 ans une PAS >130mmHg. « Une des clés proposées concernant l’importance de l’hypertension artérielle sur le cerveau à un âge moyen de la vie est la durée d’exposition au risque, ceux qui ont une hypertension à 50 ans vont être exposés plus longtemps » commente Jessica Abell, post-doctorante et premier auteur du papier.
L’autre point fort de ce travail prospectif est de suggérer que l’apparition de troubles cognitifs chez les sujets hypertendus ne suit pas forcément la survenue d’accidents cardio-vasculaires : 47% des sujets les plus jeunes ayant des fonctions supérieures altérées à la fin de l’étude n’ont pas eu d’accident cardiaque ou cérébral avéré. « Nos résultats montrent qu’un excès de risque de démence est aussi présent chez les patients indemnes d’affection cardiovasculaire. Des lésions cérébrales subcliniques ou silencieuses seraient coutumières chez les sujets hypertendus… les micro-vaisseaux pourraient être un mécanisme sous-jacent aux déficits cognitifs » expliquent les auteurs.
De l’aveu des auteurs, certaines limites existent dans l’étude : la définition de la démence à partir des registres hospitaliers et autres pourrait sous-estimer le diagnostic. Vu le petit nombre de patients atteints, la différenciation n’est pas possible entre maladie d’Alzheimer et démence vasculaire. De plus, les auteurs n’ont pas trouvé de preuves que la présence d’une hypertension > 130mmHg ou non chez les 50 ans affecte l’âge de constatation des troubles cognitifs (75,3 et 75,2 ans respectivement).
Les micro-vaisseaux pourraient être un mécanisme sous-jacent aux déficits cognitifsLes auteurs
Quel seuil pour l’HTA ?
Pour le Pr Archana Singh-Manoux qui a dirigé les recherches, « notre travail confirme les effets délétères de l’HTA à mi-vie sur le risque de démence, comme suggéré précédemment. Il suggère aussi qu’à 50 ans, le risque de démence pourrait être augmenté chez des sujets en-dessous des seuils communément admis pour traiter l’HTA ».
Car cette étude n’est évidemment pas sans interroger sur le seuil à prendre en compte pour définir l’hypertension artérielle. Les recommandations du NICE (National Institute for Health and Care Excellence) au Royaume-Uni et celles de la Société européenne de cardiologie (ESC) mettent la limite à 140/90 mmHg, alors que les recommandations de 2017 de l’American Heart Association, l’American College of Cardiology et neuf autres organisations les ont abaissées à 130/80 mmHg pour tous les adultes [2,3], supprimant la notion de pré-hypertension précédemment retenue.
Ce qui conduit la chercheuse Jessica Abell à préciser : « Il est important d’insister sur le fait que ces résultats sont issus d’une étude observationnelle d’un échantillon de la population et ne peuvent être directement utilisés comme des outils prédictifs pour chaque individu. La définition de la valeur seuil optimale permettant de diagnostiquer l’hypertension est actuellement au cœur du débat [4]».
Notre travail confirme les effets délétères de l’HTA à mi-vie sur le risque de démencePr Archana Singh-Manoux
L'étude Whitehall II a été financée par des bourses de l’US National Institutes of Health (NIH) (R01AG013196, R01AG034454), du UK Medical Research Council (MRC) (K013351), et de la British Heart Foundation (BHF) (RG/13/2/30098); Horizon2020 (Project ID: 643576 to A.S.M.); EC Horizon2020 (LIFEPATH 633666 to S.S., A.T., and M.K.); NordForsk et de l’Academy of Finland (311492 to M.K.).
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